Dès sa conception, la nouvelle gamme Star Wars de Fantasy Flight Game (traduite en France par Edge Entertainment) prévoyait une déclinaison en trois sous-gammes différente – chacune consacrée à un angle de jeu particulier.
Premier opus de cette trilogie de jeux, Aux Confins de l’Empire permettait de jouer des contrebandiers et des chasseurs de prime dans la Bordure extérieure et les divers bas-fonds de la galaxie. Ambiance western noir pour l’optique sans doute la plus originale et un jeu bourré de qualité, offrant son premier succès critique et commercial à la nouvelle exploitation de Star Wars en jeu de rôle. À l’autre bout du spectre, le dernier livre de base devrait sortir sous peu et s’intitulera Force et Destinée : il traitera des adeptes de la Force – Jedi, Sith et autres – et fera la part belle aux pouvoirs mystiques et aux sabrelasers !
Entre les deux, on trouve donc l’Ère de la Rébellion : le segment qui s’intéresse à ce qui est pour beaucoup de fans de longue date la quintessence même de Star Wars – la guerre opposant l’Empire à l’Alliance rebelle ! L’ouvrage se place donc dans une continuité classique : ici, on joue des rebelles (pas forcément de l’Alliance, d’ailleurs : il existe de nombreux autres groupuscules qui luttent contre l’Empire) qui affrontent un ennemi ô combien plus puissant qu’eux. Missions d’espionnage ou de sabotage, assassinats ciblés et attentats, batailles désespérées opposant des X-Wings à des Destroyers impériaux, guérilla menée sur diverses planètes sont ainsi les ingrédients des aventures que l’Ère de la Rébellion permet de jouer – en accord avec l’esprit de la trilogie originelle et de nombreuses œuvres du défunt univers étendu.
Mécano
Le système de l’Ère de la Rébellion est à quelques détails près le même que celui d’Aux Confins de l’Empire. Il repose sur l’utilisation de dés particuliers ornés de symboles, qui se répartissent en dés positifs (dés d’aptitude, dés de maîtrise et dés de fortune) et dés négatifs (dés de difficultés, dés de défi et dés d’infortune) : les positifs affichent des symboles de réussite, d’avantage et de triomphe tandis que les dés négatifs s’ornent de symboles d’échec, de menace et de désastre. Inutile de prendre peur : quelques jets suffisent largement pour assimiler cette mécanique – qui est fluide et propice à la narration – et au bout d’une partie, c’est comme si on l’avait toujours utilisée tant elle finit par devenir naturelle.
Lorsqu’il tente une action, le joueur rassemble les dés positifs que ses attributs lui octroient : Caractéristiques et Compétences octroient des dés d’aptitude et de maîtrise tandis que les dés de fortune dépendent de conditions externes (position avantageuse, bonne préparation de l’action, utilisation d’outils adéquats, etc.). À cette poignée, le meneur de jeu ajoute alors les dés de difficulté et les dés de défi qui dépendent de la complexité de la tâche, ainsi que les dés d’infortune symbolisant des éléments défavorables (obscurité, mauvaise ligne de tir, matériel inadapté…). Une fois le jet effectué, les symboles s’éliminent les uns les autres (succès / échec ; avantage / menace ; etc.) et il suffit de compter ce qui reste au final : un seul succès permet à l’action de réussir, en obtenir plus augmente le résultat tandis que les avantages permettent de déclencher des effets secondaires intéressants (perdre du stress, gagner un dé de fortune sur un prochain jet, infliger une blessure critique, gagner du temps…). À l’inverse, si un échec subsiste : l’action rate et les désavantages apportent leur lot de contreparties funestes (une arme s’enraie, une alarme se déclenche, on perd une action…).
Ce qui fait l’intérêt de ce système, c’est qu’un personnage peut réussir une action tout en écopant de désavantages (on touche la cible mais le blaster n’a plus de munitions, on parvient à entrer dans le vaisseau mais une alarme silencieuse se déclenche…) de la même façon qu’il peut en rater une en engrangeant des avantages (on rate la cible mais celle-ci se déplace et permet un meilleur angle de visée, on ne parvient pas à convaincre l’officier impérial mais on a appris une information cruciale durant la négociation…) – ce qui fait sans cesse rebondir la narration et évite une lecture binaire des résultats. Quant aux symboles de triomphe et de désastre, ils sont peu ou prou des équivalents aux réussites ou échecs critiques – de quoi apporter encore un peu plus de sel à l’action !
Il existe aussi le dé de Force. Au début de la partie, chaque joueur en lance un : les points lumineux obtenus permettent aux personnages d’obtenir des bonus tandis que les points de Côté obscur en font de même pour le meneur de jeu. Chaque fois qu’un point lumineux est utilisé par le groupe, il devient un point de Côté obscur à la disposition du meneur de jeu – et inversement, ce qui assure une certaine dynamique dans l’utilisation de ces réserves durant la session. Le turn-over de ces points devient ainsi la garantie de coups de théâtre bien dignes de la saga !
Les combats et scènes d’action mettent également à profit ce système de base en l’enrichissant de certaines subtilités : par exemple, l’initiative se partage au sein du groupe (les joueurs déterminent des créneaux par leurs jets puis décident entre eux de qui prend lequel – ce qui permet de mettre en place diverses tactiques), les avantages obtenus permettent d’activer les propriétés des armes, les adversaires peuvent être regroupés sous la forme de sbires pour faciliter leur gestion, etc. Le tout reste fort dynamique et propice à des rebondissements variés et inattendus tout en autorisant les joueurs à user de stratagèmes ayant des effets concrets en jeu (se mettre à couvert, viser, aider un camarade…). En fonction du décor, des adversaires, des armes utilisées, etc., aucun affrontement ne ressemblera à un autre si les joueurs savent s’emparer des règles et les tourner de façon à en faire profiter la narration !
Un épais chapitre du livre décrit d’ailleurs tout le matériel disponible pour les personnages – dont les armes, qu’il est possible de personnaliser en leur adjoignant diverses caractéristiques. Peut-être un peu rébarbatif à la lecture, cette partie du livre s’avère néanmoins essentiel et a le mérite de présenter clairement tout l’équipement que le groupe pourra se procurer afin d’accomplir ses missions.
Les affrontements entre véhicules – en surface pour les speeders par exemple ou dans l’espace entre vaisseaux – obéissent aux mêmes principes de base et ne diffèrent finalement que par l’échelle (une règle de calcul permet de convertir des dégâts de véhicules en dégâts applicables à des personnages), mais aussi par le fait qu’ils se jouent encore plus en équipe. Ainsi à l’exception du cas d’un chasseur monoplace (ce qui n’est pas forcément rare dans l’Ère de la Rébellion), durant une bataille spatiale les personnages sont en général dans le même vaisseau et y occupent des postes différents : le pilote est celui qui va permettre diverses manœuvres (accélérer, se dissimuler au milieu d’astéroïdes, faire un looping…) tandis que les artilleurs vont utiliser les canons pour attaquer les adversaires, alors qu’un mécanicien s’efforcera de réparer les dommages infligés par ces derniers. Il y a de quoi impliquer tout l’équipage dans ce genre de scène, ce qui est encore une fois parfaitement dans l’esprit de Star Wars. D’autant que tout cela reste fluide et cinématique – utilisant une mécanique de base commune à peine enrichie de quelques particularités.
En résumé, ce moteur de jeu usant de dés spéciaux enrichit considérablement la partie : les joueurs – n’étant pas distraits par les chiffres et probabilités –se concentrent beaucoup plus sur la tension induite par les jets et leurs conséquences narratives.
Une grande qualité quand on prétend émuler un univers aussi cinématographique que celui de Star Wars !
Les différences
En ce qui concerne les règles, les principales différences entre l’Ère de la Rébellion et Aux Confins de l’Empire sont de trois ordres.
Tout d’abord, là où les personnages contrebandiers ou mercenaires étaient motivés par une Obligation (dette à rembourser, prime sur leur tête, vengeance à accomplir…), ceux qui luttent contre l’Empire vont de l’avant grâce à leur Devoir : celui-ci leur octroie des avantages au lieu d’être un poids imposant des malus, car il leur offre une cause à servir et au nom de laquelle se dépasser. De la même manière, l’Alliance peut parfois fournir du matériel aux personnages en fonction des missions qui leur sont confiées. De manière générale, étant donnée l’opposition à laquelle ils doivent faire face, les rebelles bénéficient de ce genre de petites aides – qui sont loin d’être de trop !
De façon évident, la deuxième différence porte sur les options de création. Dans l’Ère de la Rébellion, les joueurs ont le choix entre de nouvelles races (si Bothans, humains et droïdes sont déjà connus, on trouve à présent les Ithoriens, les Mon Calamari, les Sullustéens, les Duros et les Grans) ainsi que des Carrières inédites (chacun composée de trois Spécialités) en phase avec le contexte de jeu : l’As est l’expert en pilotage ou en artillerie ; le Diplomate est un négociateur ou un semeur de troubles ; l’espion opère autant sur le terrain que sur les réseaux informatique ; l’ingénieur sait aussi bien réparer que saboter ; le soldat peut être un tireur d’élite mais aussi un médecin urgentiste ; le stratège a pour charge de mettre les plans de bataille au point. Enfin, une Spécialité transversale peut être prise par tous les personnages : celle de Recrue, qui symbolise l’entraînement militaire de base que reçoit chaque rebelle. Tout ceci offre l’accès à des Talents : des capacités spéciales organisés en arborescence, et qui serviront dans bien des situations ! Ajoutons aussi la Spécialité d’Adepte de la Force, un individu capable d’utiliser les pouvoirs de cette énergie mystique sans pour autant être un Jedi.
Enfin, le dernier point de différence concerne bien sûr les véhicules décrits. L’Ère de la Rébellion ravit le fan qui est en nous en lui offrant les caractéristiques de vaisseaux légendaires comme les chasseurs rebelles (X, Y et A-Wing) et impériaux (les divers modèles de TIE), de transports d’assaut terrestres (les fameux quadripodes et bipodes) ou de vaisseaux capitaux (les Destroyers impériaux et les croiseurs mon cal). De quoi donner envie de rejouer les batailles mythiques de la trilogie : Hoth ou Endor par exemple ! Puis d’inventer les siennes, bien entendu…
Les coulisses de l’Alliance
La partie background de l’Ère de la Rébellion donne tous les détails utiles pour faire jouer un groupe appartenant à l’Alliance. Ainsi, la structure de cette organisation est décrite de façon approfondie, quasi exhaustive : fondation, histoire, factions, tactiques, matériel, ressources, etc. Divers exemples de bases sont également fournis (dont notamment celle de Yavin IV), plans à l’appui !
De nombreux conseils au meneur de jeu lui indiquent comment mettre en scène une campagne prenant pour cadre le conflit galactique entre l’Empire et l’Alliance : synopsis, trames, thématiques, etc. Tout est bien décortiqué et surtout, un bon scénario conclut le livre et permet de lancer les joueurs directement dans la cuve à bacta.
Une description de la galaxie donne à se familiariser avec la « géographie » de cet univers de jeu. Systèmes connus et routes hyperspatiales font l’objet de fiches complètes et une carte permet de situer tout cela de façon concrète. De même, un grand panel de PNJ préconstruits est fourni afin que le meneur de jeu les recycle dans ses scénarios – en tant qu’ennemis ou alliés, voire simples figurants.
Sublimation
Couverture cartonné, quatre cent pages en couleur, abondantes illustrations… Le livre de base de l’Ère de la Rébellion est magnifique à tout point de vue et sa richesse graphique offre une immersion facilitée dans l’univers si visuel de Star Wars. Chaque race, chaque Carrière, chaque Spécialité, chaque vaisseau voit ainsi sa description enrichie d’un dessin de grande qualité.
L’ouvrage offre donc une expérience qui ravira les fans de l’ancienne trilogie, qui se languissaient de pouvoir se replonger dans la guerre civile galactique. D’autant que nombre de nouvelles œuvres donnent envie d’exploiter ce contexte. Le nouveau film le Réveil de la Force – bien que si situant trente ans après la bataille d’Endor – reprend une situation très familière (le Premier Ordre contre lequel lutte la Résistance, ce qui ne peut qu’évoquer l’affrontement Empire / Alliance de jadis). La série animée Rebels (qui se déroule un peu avant un Nouvel Espoir) met en scène un groupe de rebelles mettant des bâtons dans les roues de l’Empire. Et le prochain film Rogue One reviendra sur la façon dont l’Alliance a mis la main sur les plans de l’Étoile noire. Tout cela sans même parler des nouveaux comics édités par Marvel (traduits chez nous par Panini) : tous se déroulent durant la trilogie originelle.
Bref, l’Ère de la Rébellion bénéficie de conditions de sortie très favorables !
À suivre
Deuxième opus ouvrant une sous-gamme dans la nouvelle franchise rôliste Star Wars, l’Ère de la Rébellion n’a rien à envier à son aîné Aux Confins de l’Empire ! Renouant avec une vision plus orthodoxe de l’univers et des aventures à y faire jouer, ce nouveau jeu y développe cependant d’infinies possibilités ludiques et ne peut donc qu’enthousiasmer tous ceux qui ont grandi avec une saga désormais légendaire, bercés par le vrombissement des chasseurs TIE.
Produit luxueux, traduit et relu à la perfection (les coquilles sont plus rares que des midichloriens dans un droïde), l’Ère de la Rébellion est un blockbuster qui mérite une place de choix sur vos étagères, de par sa mécanique élégante et fluide (à laquelle on peut toutefois reprocher qu’il faille acheter les dés spéciaux…) et son univers si connu et si bien traité ici.
Alors, rendez-vous dans cette galaxie lointaine, il y a si longtemps…
Star Wars – L’Ère de la Rébellion
Un jeu édité par Edge Entertainment
464 pages
59 € 95