Mornéa est à l’origine un monde créé pour les besoins du jeu de figurines Alkemy – qui proposait une histoire intéressante, des factions originales et un système simple mais suffisamment développé pour permettre des escarmouches variées et tactiques. Doté d’un background recherché, Alkemy eut une première fois l’honneur d’être adapté en jeu de rôle – par le biais de livrets (présentation des factions et scénarios) motorisés par les règles de D&D4. Cette version fit hélas long feu mais le potentiel ludique de Mornéa lui assura de renaître de ses cendres.
C’est donc encore une fois les XII Singes qui adaptent cet univers sous la forme d’un jeu de rôle flambant neuf, qui possède désormais son propre système – adapté de celui du jeu de figurines afin de garder une cohérence entre les deux gammes. Ce Manuel des Compagnons, qui fait office de livre de base, présente donc toutes les règles nécessaires pour lancer une partie et offre un survol du background de Mornéa.
Mash-up
La première (bonne) impression vient du rendu physique de l’ouvrage. Contrairement à ses habitudes (si l’on excepte la deuxième édition de Trinités, son best-seller), l’éditeur propose un livret épais à couverture rigide et dont les pages sont entièrement en couleur. Le Manuel des Compagnons possède donc sa densité ! En second lieu, on remarque le mélange détonnant concernant les ornementations qui en agrémentent les pages : il s’agit en effet d’un mix de dessins, de croquis préparatoires et de photos de dioramas mis en scène à partir de figurines peintes.
Et de façon inattendue, cela fonctionne très bien ! Le Manuel des Compagnons acquiert même une identité graphique unique, qui le distingue du tout-venant des livres de jeu de rôle. Le pari était audacieux mai sil s’avère payant et assure à la gamme à venir un surcroît de personnalité. D’autant qu’une mise en page aussi claire que sobre permet de parfaitement mettre en valeur ce parti-pris.
Terre alchimique
Le Manuel des Compagnons commence par présenter l’univers dans lequel Alkemy prend place : Mornéa. Il s’agit d’un monde de fantasy divisé en plusieurs nations, ayant chacune ses spécificités. L’originalité vient des races jouables, qui sont présentées plus avant dans le chapitre de création de personnage.
La Triade de Jade est un pays d’inspiration sinisante, une empire puissant qui régna jadis une large portion de Mornéa et qui possède toujours des velléités de domination. Avalon est une nation constituée de dissidents de la Triade de Jade, ayant conquis leur indépendance sous la protection du Beathacrann – un arbre magique – et formant un royaume proche de l’Angleterre médiévale. La République Khalimane est influencée par le Moyen-Orient des 1001 Nuits et s’avère peuplée d’hommes-félins aussi épris de paix qu’ils sont de redoutables combattants. Les Aurloks enfin sont des hommes-animaux aux traits bestiaux marqués (loups, crapauds, corbeaux….), vénérant des esprits et des totems à la façon des tribus amérindiennes. L’on parle également d’un peuple disparu durant la Guerre alchimique : les ophidiens Naashtis…
Diversité et originalité sont de mise, d’autant que chaque peuple possède sa philosophie, son organisation politique et sa façon de pratiquer la magie alchimique. Les tensions entre nations sont bien sûr de mise et Mornéa est loin d’être un monde paisible… Afin cependant de permettre aux personnages de former un groupe, le background met en avant une menace obscure et presque inconnue (le Shaal) ainsi qu’une organisation ayant pour but de la contrer (la Loge). Les personnages sont bien sûr invités à faire partie de cette dernière, mettant de côté les rancœurs de leur race d’origine pour lutter contre un mal ancien.
Bien que le Manuel des Compagnons propose une présentation de tous ces éléments, il s’agit hélas plus d’un survol que d’un approfondissement. Ainsi, les peuples restent cantonnés à leur archétype et le livre n’est guère disserte à leur propos. De même, on n’apprend presque rien sur le Shaal (nature, agents, modus operandi) et à peine plus sur la Loge. Si diverses informations peuvent être glanées tout au long des chapitres plus techniques (notamment la création de personnages), on sent que l’on a affaire à un livre du joueur et que le background ne s’enrichira qu’avec la suite de la gamme. Il est certes possible de se lancer à l’aventure avec juste cet ouvrage mais un meneur de jeu consciencieux attendra sans doute d’en savoir plus pour écrire sa campagne.
Ressources
Heureusement, comme c’est souvent le cas chez les XII Singes, du matériel directement jouable est déjà disponible sur leur site – gratuitement. Et l’éditeur ne se moque pas du monde : c’est carrément un décor de jeu entier (la cité de Joyau, un important carrefour commercial de Mornéa) ainsi qu’une campagne en six scénarios qui est offert !
Idéale pour que la table goûte au plus tôt aux charmes d’Alkemy, cette initiative tempère donc le défaut énoncé ci-avant et surtout compense l’absence d’aventure prête à jouer dans le Manuel des Compagnons.
Règles et dés
Au niveau du système, Alkemy utilise des dés spéciaux semblables à ceux du jeu de figurines. Ceux-ci sont de différentes couleurs, chacune correspondant à un niveau de santé du personnage : en pleine santé, on lance les dés blancs ; blessé, on utilise les jaunes ; agonisant, on jette les rouges. Ces dés comportent des symboles (épée, hache, masse) qui déterminent les dommages lors des combats, ainsi bien sûr que des chiffres pour estimer la réussite d’une action classique.
Les personnages sont définis avant tout par leurs caractéristiques : Esprit, Réflexes, Combat et Défense. Additionner la valeur d’une caractéristique au lancer des dés contre une difficulté permet de résoudre la plupart des actions. Les personnages disposent aussi de compétences, qui fonctionnent comme des capacités spéciales octroyant des bonus aux jets ou augmentant les caractéristiques. Le personnage a le choix entre les compétences spécifiques que lui ouvrent sa race et sa vocation (guerrier, diplomate ou alchimiste).
Cette base simple se comprend aisément et couvre quasiment toutes les situations mais Alkemy propose des règles plus détaillées pour le combat, les interactions sociales et bien sûr l’alchimie.
La mécanique de combat est très proche de celle du jeu de figurines – permettant d’utiliser celles-ci afin de mieux représenter le champ de bataille d’une scène d’action. En effet, Alkemy utilise de nombreuses notions comme la portée, la ligne de vue ou le couvert qui nécessitent donc de modéliser au mieux le décor. Si on y gagne en clarté pendant les affrontements, certains rôlistes se montreront sans doute réticents à un tel degré de précision – d’autant que l’usage de figurine s’avère rapidement plus une obligation qu’une option…
Chaque personnage dispose de points d’action qui lui permettent de déterminer ce qu’il peut accomplir en un tour de jeu : charger, désarmer, tirer, se déplacer, se concentrer, etc. Le choix d’une posture (parade, attaque rapide, attaque brutale…) permet de disposer de bonus en fonction de l’action entreprise ou de l’attitude de l’adversaire. Quant aux dégâts, ils se lisent directement sur le jet d’attaque grâce aux symboles des dés.
De façon assez pratique, la négociation et les relations sociales peuvent se gérer avec une mécanique proche de celle du combat : il y a des actions possibles (menacer, mentir, acheter…) et les personnages disposent de contacts, dont l’utilité est quantifiée par un niveau de relation. Alkemy ne met donc pas que le combat à l’honneur, et la diplomatie est très importante à Mornéa… Les affrontements pouvant se révéler très létaux, savoir parlementer devient très vite un bon moyen d’éviter de risquer sa vie – et les règles proposées donnent une réelle utilité ludique à un personnage beau parleur (mais dont le joueur ne serait pas forcément à l’aise avec l’interprétation).
Alchimie
Comme le nom du jeu l’indique, cette forme de magie (la seule existant sur Mornéa) y est à l’honneur.
La pratique de l’alchimie repose sur l’utilisation de pierres renfermant la puissance des éléments fondamentaux (eau, air, terre, feu). Chaque peuple possède sa propre façon de mettre en œuvre l’alchimie : la Triade de Jade la canalise via des rituels, les Aurloks entrent en communion avec les esprits, etc. Un personnage alchimiste maîtrise divers sorts (qui obéissent au mêmes règles que les compétences), et doit les alimenter avec des Composants – dont les plus purs sont les pierres alchimiques. Lancer un sort nécessite une grande concentration mais les effets sont à la hauteur ! D’autant qu’avec l’expérience, il est possible de modifier une formule à la volée.
Le Manuel des Compagnons détaille un grand nombre de ces sorts, classifiés par éléments. Très évocateurs, ils donnent vraiment envie de jouer un alchimiste – d’autant que selon la nation d’origine, le rendu sera très différent.
Rejoignez la Loge
Le Manuel des Compagnons est un ouvrage surprenant à plus d’un titre. Son apparence graphique le singularise d’emblée et donne immédiatement envie de s’y plonger. L’univers dépeint laisse imaginer une grande richesse tandis que les règles – détaillées mais reposant sur une base simple – assurent des affrontements tactiques et une magie originale et spectaculaire.
Les défauts mentionnés (un background succinct, un système de combat reposant trop sur l’usage de figurines) ne doivent pas faire passer à côté de ce nouveau jeu de fantasy original et bien conçu. Mornéa est un univers qui mérite le détour, d’autant que grâce aux ressources en ligne il est possible d’y partir à l’aventure sans tarder.
Alors, comme vous y invite la quatrième de couverture : rejoignez la Loge !
Alkemy – Manuel des Compagnons
Un jeu édité par les XII Singes
240 pages
45 €