Quatre mousquetaires ?
Sortie il y a deux ans déjà, l’adaptation de l’œuvre de Pierre Pevel en un luxueux jeu de rôle offrait dans sa belle boîte – rouge ou bleue, selon l’édition choisie – tout le nécessaire pour incarner un agent de Mazarin au sein d’une France légèrement uchronique et carrément teintée de fantasy. Un matériel abondant (complété par les Accessoires du Maître de Jeu, comprenant notamment l’écran magnifiquement dessiné par Loïc Muzy) et des choix forts (des règles à base de cartes – le fameux Tarot des Ombres par exemple) laissaient à penser que les Lames du Cardinal n’auraient pas besoin de suivi – à part des scénarios ici et là, dans divers magazines spécialisés.
Pourtant, l’équipe du jeu travaillait à produire un supplément nommé Arcanes, qui arrive donc sous la forme d’une boîte (verte, cette fois-ci). La première réaction est alors un certain étonnement : pourquoi une extension justifierait-elle à son tour une présentation si luxueuse, à l’égal du jeu de base ? Et lorsqu’on l’ouvre, ce sentiment perdure : du matériel, il y en a mais servira-t-il vraiment ? Et puis on commence à lire, à éplucher, à regarder de plus près… et on se rend compte que les auteurs ont axé la construction d’Arcanes selon deux composantes fortes – qui permettent à ce supplément de compléter de façon idéale le jeu.
Plus de dragons
Le Livre 3 – Univers et Règles (80 pages) consacre sa plus grande partie à approfondir l’un des éléments déterminants des Lames du Cardinal : les fameux dragons, antagonistes majeurs des héros au service de la France.
En premier lieu, une « uchronologie » s’étendant de 1644 à 1648 permet de dresser un portrait de cette Europe légèrement différente et de l’impact des actions des dragons sur son évolution. On y voit que leurs complots amènent des changements ici et là, parfois subtils et parfois plus radicaux. C’est une petite storyline qui est donc dessinée et permettra au meneur de jeu de construire ses propres campagnes sur des données officielles.
Puis – comme le titre du supplément le laisse deviner – une nouvelle Loge des Arcanes est décrite. Ce groupuscule dépendant de la Griffe noire (l’organisation draconique dominant la cour d’Espagne) fut originellement détruit durant les évènements relatés par la trilogie romanesque de Pierre Pevel. C’est donc ici une nouvelle itération qui émerge – avec certes toujours le même Grand Dessein à accomplir (mettre un dragon sur le trône de France) mais de nouveaux protagonistes et de nouvelles stratégies (comme s’emparer de la Papauté). Il est donc fourni un parfait antagoniste aux Lames qu’incarneront les joueurs : les nouvelles Arcanes sont originales, redoutables, discrètes et très stimulantes – après tout, le Masque de Fer est leur leader… Ce groupe est idéal pour constituer une opposition puissante aux personnages – un défi à leur hauteur.
De nouvelles races draconiques sont également fournies : léviathans, hydres, serpentaires… De quoi varier le bestiaire et réserver quelques surprises aux joueurs – d’autant que les idées sont bien trouvée et s’inspirent toujours de l’arrière-plan mythologique européen. Dans la même veine, des artefacts draconiques sont proposés – des objets magiques qui peuvent sans problème donner de l’inspiration pour tout un scénario.
Enfin, c’est la magie qui est décrite en détail. Absente du jeu de base car réservée à une certaine catégorie de personnages, elle est ici développée sur le plan technique et détaillée du point de vue du background. À la lecture, on comprend en effet que cette science ne puisse être maniée par le premier-venu ! Seuls les dragons peuvent prétendre en avoir la pleine maîtrise et les simples humains y risquent leur santé – voire pire. Du point de vue des règles, cet aspect est très bien rendu : la magie est complexe à utiliser et surtout périlleuse. Chaque étape de lancement d’un sort fait courir un risque au conjurateur – notamment via le tirage des cartes du Tarot des Ombres. Bien sûr en théorie, la magie est désormais accessible à un personnage (même si ce ne doit pas être très bien vu au sein des Lames…) mais le jeu en vaut-il la chandelle ? En tout cas, le chapitre fournit de quoi rendre la magie bien plus concrète et présente durant les aventures – même si elle ne devait rester que l’apanage des PNJ.
Les Lames du Cardinal présentait les dragons comme des adversaires redoutables et omniprésents mais le jeu de base – du fait des évènements des romans – peinait à aider le meneur de jeu à se les approprier pleinement. Grâce à Arcanes, il dispose dorénavant de tous les outils nécessaires : une nouvelle Loge faisant office d’adversaire déclaré, un enrichissement de la mythologie draconique (chronologie, bestiaire, artefacts…) et une clarification de la magie de cette race. Cela ajoute une densité certaine au jeu et fournit de quoi construire une opposition bien plus cohérente – tout en singularisant un peu plus cette Europe mystique, ce qui lui ajoute un surcroît de personnalité.
Plus de confort
Les Lames du Cardinal est un excellent jeu de rôle mais il souffre d’une certaine lacune pédagogique dans la rédaction de son système. Bien que celui-ci soit excellent une fois compris, il n’est pas présenté de façon très ergonomique. Et justement, de l’ergonomie : Arcanes en apporte beaucoup au jeu ! Le supplément a fait l’objet d’une belle réflexion sur les outils à apporter pour faciliter l’appropriation du jeu et la fluidité des parties.
Toujours dans le Livre 3 – Univers et Règles, sont ainsi décrits plusieurs édifices particulièrement connus de l’époque : le Louvre, le Palais-cardinal, le Châtelet, le Temple… Pour chacun, on a droit à une présentation, des anecdotes (réelles ou en rapport avec l’histoire fantasmée du jeu), des ordres de mission, des pistes à exploiter, diverses données… mais surtout, la boîte contient pas moins de 5 posters reprenant les plans de ces bâtiments. De quoi parfaitement visualiser les intrigues s’y déroulant ou enluminer une course-poursuite sur ces lieux emblématiques. De telles aides de jeu apportent un certain confort à la partie et embellissent la table en vue d’une meilleure immersion.
Ce livre fournit également diverses règles optionnelles, venant compléter le corpus de base. Notamment, une mécanique basée sur les règles du combat et permettant de les étendre à d’autres types de conflits : interaction sociale et poursuite. Des exemples détaillés sont fournis afin que le meneur de jeu s’approprie ce système plus développé qui met à l’honneur des « techniques » et des « feintes » dans les deux domaines concernés – les rendant plus cinématographiques encore !
De nouvelles écoles d’escrime sont présentées (drac, pirate, suédoise, anglaise) avec leurs propres bottes et feintes, afin de varier par rapport à celles de la boîte de base. De même, différents types d’épée sont décrits avec pour chacune des feintes dédiées. En relation avec tout cela, Arcanes fournit 115 cartes qui reprennent sous la forme d’une aide de jeu l’ensemble des techniques de toutes les écoles et lames présentées jusqu’ici. Une sorte de pense-bête permettant de ne pas fouiller un livret à chaque doute, puisque le joueur utilisant telle feinte ou telle botte en aura le descriptif directement sous les yeux avec la carte idoine (certaines étant même laissées vierges pour créer ses propres techniques). Là encore, le but est de dynamiser le jeu et de rendre les affrontements plus fluides – pour mieux rendre hommage au genre cape & épée.
Dans ce même esprit d’ailleurs, l’Art du Conte (4 pages) est un livret qui fournit une explication pour utiliser des fiches (au nombre de 8) présentant des lieux emblématiques du genre (auberge, maison, jardin, bateau…). Éléments du décor, protagonistes, actions possibles sont ainsi listés et amènent des idées et de l’inspiration pour rendre les scènes de combat plus vivantes. D’autres fiches au même format (6 en tout) guident l’interprétation du tirage des cartes durant les affrontements ou l’utilisation cinématique de décors divers.
Avec Arcanes, meneur de jeu et joueurs disposent donc d’un matériel aussi abondant que riche leur permettant une meilleure appropriation du jeu. Règles optionnelles, plans, aides de jeu, inspirations, guides sont autant d’outils qui facilitent grandement la prise en main des Lames du Cardinal – un apport bienvenu pour un jeu dont la réputation fut écornée par une rédaction peu pratique de ses règles.
Plus d’aventures
Le Générateur de Présages est un livet de 24 pages qui explique comment créer un scénario de A à Z en utilisant le Tarot des Ombres, grâce à divers tirages. Ceux-ci permettent réellement de construire pas à pas une aventure complète (plus ou moins longue) en fournissant décor, figurants, difficulté, puissance opposée, etc. Un exemple détaillé permet de montrer comment un tirage devient un scénario en respectant toutes les étapes à suivre. Un outil vraiment pratique pour les meneurs de jeu, d’autant que les autres livrets comportent de nombreuses lettres de mission adressées par Mazarin à ses Lames. Il suffit de prendre l’une de ces accroches d’aventure, d’effectuer un tirage tel qu’indiqué et de travailler un peu à harmoniser tout cela pour obtenir un scénario prêt-à-jouer pour la prochaine séance !
Et bien sûr, Arcanes fournit une campagne bien dense : le Livre 4 – Campagne (72 pages) offre trois gros scénarios lançant les Lames sur une enquête à propos d’un trafic de substances draconiques – ce qui les mènera à Saint Malo et à Jersey avant d’affronter rien moins que la nouvelle Loge des Arcanes ! Cette saga épique regorge de scènes d’anthologie : poursuites à dos de wyvernes, bataille navale, combat face à une hydre, complot dirigé contre le Cardinal, rituels mystiques, duels âprement disputés… Une campagne qui restera dans les souvenirs des joueurs !
Boîte verte
Au final, Arcanes parvient à tirer son épingle du jeu de belle façon. On sent bien que l’équipe s’est posé les bonnes questions lors de sa conception : de quel complément les Lames du Cardinal ont-elles besoin pour s’améliorer encore ? Approfondissement du background et apport d’un grand confort de jeu sont les deux réponses – des plus pertinentes – que nous fournit cette belle boîte pleine à craquer.
Oserons-nous franchir le pas et affirmer qu’Arcanes est un supplément indispensable ? Et pourquoi pas, tiens ! Le travail fourni et la qualité du matériel méritent bien ce qualificatif. Si vous avez apprécié les Lames du Cardinal, n’hésitez alors pas à craquer pour Arcanes – qui le complète et l’enrichit à merveille.
Arcanes
Un supplément pour les Lames du Cardinal édité par Sans Détour
Boîte remplie de matériel décrit tout au long de la chronique
49 €