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Plenilunio

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Couv Plenilunio

Malefic Time

Sans Détour traduit un jeu espagnol, de l’éditeur NoSoloRol – voilà qui peut surprendre, tant les jeux de la péninsule ibérique atteignent rarement nos contrées (une tendance qui semble s’inverser avec la Loutre rôliste, qui va notamment traduire Blacksad). Il faut toutefois replacer Plenilunio dans son contexte pour comprendre la raison qui a pu pousser l’éditeur de l’Appel de Cthulhu à proposer ce produit chez nous.

Plenilunio prend en effet place dans un vaste projet transmédia nommé Malefic Time – à l’origine duquel se trouvent Luis Royo et son fils Romulo, connus pour leurs illustrations et peintures ayant bercé la jeunesse de bien des rôlistes ! Décliné en romans graphiques, mangas ou musique, Malefic Time est un univers post-apocalyptique et ésotérique. D’ici quelques années, divers évènements vont propulser notre monde en pleine déliquescence : notamment une peste néo-natale menant à l’avortement de toute une génération de femmes, plongeant la population dans la fureur et le désespoir. Soulèvements, révolutions et guerres civiles jettent à bas les institutions de la plupart des pays du globe – et c’est à ce moment que l’humanité prend conscience de l’existence d’autres êtres : des anges et démons se manifestent au grand jour et livrent leur guerre sans plus se dissimuler, ce qui achève de projeter notre planète en pleine apocalypse mystique.

L’univers de Malefic Time puise ainsi à diverses sources : le post-apocalyptique façon Mad Max ou Walking Dead, où la survie devient le principal enjeu des protagonistes, mais aussi le fantastique à tendance millénariste – avec son lot d’inspirations puisées à tous les courants religieux et mythologiques de l’histoire. Les anges – nommés solaires ou célestes – sont les gardiens d’un ordre ancien promulgué par le dieu-soleil : ils sont garants de l’ordre et de la discipline et veulent appliquer le plan de leur maître à la lettre. Face à eux, les démons – ou lunaires – sont des agents du changement qui souhaitent mener le monde dans une nouvelle ère, fut-ce au prix du chaos. Ils servent la déesse-lune qui se rebella jadis contre le dieu-soleil. Et au milieu, une humanité dépassée fait de son mieux pour perdurer – certains ayant un rôle à jouer dans cette guerre millénaire : les Pionniers, marqués par le destin.

Tel est donc le contexte de Malefic Time, qui constitue le background de Plenilunio. Nous sommes en 2033 et l’action se déroule à New York. Les personnages sont bien sûr des Pionniers qui vont devoir survivre dans cet environnement hostile afin d’accomplir leur destin.

Art-book

La première chose qui frappe avec Plenilunio, c’est la beauté du matériel. Entièrement et abondamment illustré par les Royo, le livre est un régal pour les yeux : parsemé de nombreuses peintures, enluminé de croquis préparatoires, décorés par divers éléments tels des frises ou cul-de-lampe, il propose une cohérence graphique à toute épreuve. C’est un véritable plaisir de le feuilleter et on est très vite immergé dans l’ambiance bien particulière de Malefic Time – notamment du fait des nombreuses représentations de Luz, héroïne déclarée de cet univers. Bien entendu, Royo obligent, certaines illustrations font la part belle aux femmes sublimes et peu vêtues mais le style même de ces artistes évacue tout érotisme tendancieux et y substitue une ambiance certes sexuée mais qui sert avant tout le propos de l’univers.

Le livre propose une solide couverture rigide ainsi qu’un signet pour marquer sa page. Quant à l’écran – rigide lui aussi – il est bien sûr magnifiquement illustré côté fresque et comporte toutes les tables utiles pour le meneur de jeu.

Autant dire que pour qui apprécie le travail du duo Royo ou aime simplement les beaux ouvrages, Plenilunio part avec de sérieux atouts !

Pot-pourri

Malefic Time propose un univers qui ratisse large. Post-apocalyptique et mystique, il assume de nombreuses influences : il convoque aussi bien la Bible que la mythologie égyptienne, les légendes sumériennes ou l’ésotérisme le plus new age. On pense souvent à des œuvres comme Légion, Gabriel ou Supernatural : Plenilunio lorgne ainsi clairement vers la série B.

Mais ce n’est en rien un reproche ! Là où l’on pouvait craindre qu’un tel gloubi-boulga offre un background fade et incohérent, il permet au contraire au meneur de jeu de se l’approprier aisément et d’y injecter ses propres inspirations. D’autant que tout cela est écrit avec beaucoup de professionnalisme : le livre propose une histoire secrète du monde dévoilant le conflit entre solaires et lunaires, un descriptif détaillé de New York et de comment y survivre en 2033, un portrait des nombreux PNJ qui pèsent sur le destin du monde (Adam, Lucifer, Marduk, Luz…), un gros bestiaire, une liste des artefacts les plus importants (chacun étant quasi un synopsis à lui tout seul), etc. Tout cela est complet et très inspirant, en plus de laisser une grande liberté à la table – car l’univers de Malefic Time regorge d’opportunités. Cette liberté est cependant cadrée grâce à un important chapitre de conseils au meneur de jeu – expliquant les thèmes de Plenilunio et la façon de les mettre en scène.

Une fois tout cela assimilé, un scénario permet de se lancer rapidement à l’aventure (d’autant plus rapidement que des prétirés sont fournis – superbement illustrés, comme il se doit). Plutôt basique (car orienté initiation), il se prolonge en une campagne dont chaque épisode est écrit sous la forme d’un gros synopsis – le meneur de jeu aura donc du travail à fournir pour développer tout cela, mais au moins Plenilunio lui offre une bonne base pour une saga plutôt épique (le but étant rien moins que de réunir les différentes parties de l’épée Malefic, arme majeure de cet univers).

Ainsi, si Plenilunio n’offre rien de révolutionnaire au niveau background, ce qui est proposé est décrit de façon sérieuse et complète et peut facilement être digéré et recyclé par le meneur de jeu. D’autant que scénario et synopsis sont fournis afin d’exploiter tout cela et qu’il est possible de puiser dans les autres œuvres du projet Malefic Time (notamment les romans graphiques sur Luz) pour disposer de matériel adaptable à foison.

Le grand jeu

De la même façon que l’univers, les règles de Plenilunio sont complètes et customisables.

Un personnage se définit par sept caractéristiques (Force, Combat, Volonté, Astuce, Culture, Présence et Subtilité) échelonnées de 1 à 5 (ou plus pour des créatures puissantes) et qui peuvent s’affiner par le biais de spécialités. Le score représente le nombre de dés à lancer : de 1 à 3, ce sont des échecs et de 4 à 6 des réussites (le 1 et le 6 pouvant provoquer des résultats spéciaux). Le meneur de jeu évalue la difficulté et lance lui aussi des dés en fonction de celle-ci : il suffit de comparer avec le jet du joueur pour déterminer la réussite ou l’échec de l’action.

Bien entendu, les personnages sont des Pionniers – des êtres exceptionnels qui disposent donc d’avantages non négligeables sur le commun des mortels. Leur destin est chiffré et leur permet d’avoir accès à des pouvoirs particuliers (mains guérisseuses, coup mortel, vision de l’avenir, protection surnaturelle, rapidité surhumaine, etc.) qui feront la différence au cours de leurs aventures. Tout cela permet d’offrir notamment des scènes d’action dynamiques où ces capacités supérieures donneront leur pleine mesure.

Aspect intéressant : le destin final d’un personnage est décidé de concert entre son joueur et le meneur de jeu en début de campagne (se sacrifier pour un autre, devenir le leader d’une communauté, retrouver un artefact légendaire…). Dès que le personnage a accumulé dix points de destin, il l’accomplit et termine donc sa carrière. Ainsi, un joueur peut décider que son alter ego embrasse totalement sa destinée et cherche à l’atteindre (en gagnant le plus de points de destin possible) ou qu’il s’en détourne au contraire, préférant garder son libre arbitre.

La mécanique de Plenilunio s’avère donc simple mais suffisamment complète pour arpenter cet univers. Elle promet quelques combats très cinématiques grâce aux dons dont disposent les Pionniers et des surprises dans le devenir des personnages du fait de la jauge de destin.

Vers l’ère du Verseau

Plenilunio dispose d’un capital sympathie évident. Esthétiquement, le livre est sublime et d’une cohérence artistique à toute épreuve. L’univers dans lequel s’inscrit le jeu ouvre de nombreuses possibilités malgré son aspect un peu patchwork – il bénéficie de tout le reste du projet Malefic Time. Le système de jeu est agréable et aisé à prendre en main. Et si au final rien de tout cela ne paraît révolutionnaire, il faut avouer que la conjonction de toutes ces qualités donne diablement envie d’arpenter le New York dévasté des années 2030, d’y croiser des individus étranges, d’y affronter solaires et lunaires et d’y rencontrer son destin final.

Plenilunio se révèle donc être un « jeu de rôle de série B », dans le sens le plus noble du terme : un produit généreux qui donne envie de s’y plonger et d’en exploiter tout le potentiel. Achat obligatoire pour les fans des Royo, en tout cas. Pour la suite, une gamme permettant d’explorer l’univers plus en profondeur (notamment par le biais de scénarios et campagnes liés à la storyline de Malefic Time) convaincrait sans nul doute les autres rôlistes de tenter l’aventure à leur tour.

Ecran Plenilunio

Plenilunio

Un jeu édité par Sans Détour

228 pages

36 €


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